Valeurs clients : Révolution 2.0 ?

VALEUR CLIENTS :
FAUX SEMBLANTS ET REVOLUTION 2.0
En une décennie, le développement du e commerce a créé de nouveaux marchés et en a chamboulé de nombreux autres. L’essor des réseaux sociaux (web 2.0) ne manquera pas d’en faire de même, reconfigurant notamment les rapports entre une marque et ses clients, ainsi que les comportements de consommation. Une mutation qui trouble la lecture de plusieurs analyses et porte à investiguer de nouvelles conclusions. Ainsi, nous constaterons que les réseaux communautaires impactent profondément les schémas établis de prescription commerciale, d’une part en valorisant bien davantage l’acte de pré achat et d’autre part en impliquant nécessairement la marque et le point de vente dans une stratégie « multi-canal » nouvelle. Des réseaux qui transforment par la même occasion l’intégralité de la chaine de valeur client, jusqu’au management même de l’entreprise.

Derrière les faux semblants de la relation clients, internet et les réseaux communautaires
Une étude récente (1) conclut que les consommateurs seraient moins nombreux (64% en 2010, 69% en 2009) à changer de fournisseurs en raison d’un mauvais service client, et ce malgré un niveau de satisfaction en baisse. Un paradoxe qui s’expliquerait par la performance de certains programmes de fidélisation des marques et par l’accessibilité accrue des services clients des entreprises aux consommateurs via les nouvelles technologies.

Mais ce paradoxe, s’il devait être corroboré ultérieurement par d’autres études, pourrait aussi trouver des explications ailleurs. D’une part, certaines entreprises tendent à enfermer contractuellement leurs clients dans des engagements longs et complexes à liquider, tel que dans la téléphonie mobile. D’autre part, la culture internet promouvant le principe d’immédiateté des services, il est probable que les clients ont probablement davantage d’exigences. Enfin et surtout, une explication tiendrait au pré achat, c’est à dire à la préparation du choix du client : cet acte étant de mieux en mieux préparé, le client tarderait à le remettre en cause en cas de déception, notamment parce qu’il penserait qu’il serait difficile de trouver mieux ailleurs. Un point qui placerait les deux explications avancées par l’étude pré citée au titre de faux semblants.En effet, internet, et les réseaux sociaux en particulier, facilitent sensiblement l’acte de préparation de l’achat. La proportion des consommateurs se renseignant sur la toile avant d’acheter est supérieure à 70% dans la plupart des études portant sur ce sujet. Elle serait d’environ 63% (2) en ce qui concerne ceux qui se renseignent plus précisément sur les réseaux sociaux. Internet est évidemment une source unique et extrêmement accessible d’information permettant de mieux cerner les caractéristiques de l’offre et d’appréhender ses choix : sites e commerce ou sites comparatifs de produits ou de prix, blogs d’experts ou article de presse en ligne … et enfin les réseaux communautaires, particulièrement riches en information, opinions et expériences consommateurs. Autant de leviers d’information encore indisponible il y a peu et qui aujourd’hui déterminent clairement la prescription d’achats.

La mutation des schémas de prescription commerciale doit engendrer une refonte des stratégies de valeur client.

La majorité des marchés doivent faire face à cette mutation de la prescription commerciale, plaçant cette dernière non pas uniquement entre les mains des commerciaux et des média classiques (off), mais sur les média digitaux (on) et plus particulièrement au sein des réseaux communautaires. C’est le cas de la grande consommation et de la distribution, du tourisme, du cinéma, de la presse, de l’électronique grand public et la téléphonie … et même du luxe. Internet était déjà en 2009 (3) le média le plus influent et le plus décisif dans l’acte d’achat, tant, par exemple, pour les hôtels (63%) que les loisirs (52%) ou l’automobile (53%), la téléphonie (50%) ou la joaillerie horlogerie (48%).
Quant aux réseaux sociaux, ils sont déjà (4) la seconde source favorite d’information (13%), hors moteur de recherche, en très forte croissance (2% en 2009) et ex-æquo avec la presse en ligne. Nous pouvons sereinement envisager que leur influence s’étendra encore, tant leurs qualités sont reconnues. Sur la base des 4 modes clés de communication disponibles sur les réseaux sociaux, et décrits dans le schéma ci-dessous, le nombre étendu d’information contradictoires et fines qui y sont disponibles permet aux consommateurs Français de se sentir (5) bien mieux informés (72%) qu’il y a 5 ans.

D’une part, l’attrait pour les réseaux sociaux tient à ce que 60% des consommateurs (5) recherchent des points de vue contradictoires. Et une fois leur avis façonné, 88% d’entre eux livrent l’information à leurs proches, dont 59% via un réseau social (5). Les consommateurs sont ainsi concrètement et pleinement acteurs de leur consommation. Des études (5,6) déterminent différents profiles généraux des consommateurs Français, allant du prescripteur influençant à l’expert écouté, en passant par le passeur d’information. On peut évaluer (6) qu’à peine plus de 20% des internautes influencent de manière décisive la prescription de 74% des opinions des réseaux sociaux dans lesquels ils se situent. Des chiffres qui démontrent l’implication élevée des leaders d’opinion et l’importance des enjeux que nous considérons ici. Notons qu’un facteur clé de segmentation de ces consommateurs actifs tient à leur usage des média : les utilisateurs de « smartphone » et les lecteurs de presse seraient les publics les plus impliqués face à l’information. Un critère de segmentation clients parmi d’autres à bien intégrer dans la stratégie de l’entreprise.
D’autre part, le poids des réseaux sociaux dans la prescription commerciale s’explique tout naturellement par le fait qu’un internaute fait davantage confiance à un autre internaute (plus de 70% selon les études) qu’à un bloggeur (51%), un journaliste (42%) ou à la marque elle-même (31%), quant aux qualités du produit ou du service qu’il convoite. Les prescriptions de produits provenant d’études et de forums consommateurs sont 12 fois plus suivies que les informations provenant des marques elles-mêmes (7). Les membres de réseaux communautaires (8) déclarent être sensiblement influencés dans leurs choix (74%) et suivent les recommandations de personnes qu’ils connaissent (90%) ou pas (70%). Un certain signe de méfiance à l’égard des marques qu’ont déjà corroboré différentes analyses en 2010.
L’influence croissante des réseaux sociaux ne doit cependant pas faire oublier celle des moteurs de recherche internet (Search). Les premiers servent à suivre l’actualité d’une marque ou d’un marché, et à comparer des produits pour en écarter certains de la décision d’achat. En revanche les moteurs de recherche répondent à l’objectif de trouver une information précise, telle qu’un produit ou un point de ventes. Ils demeurent le premier levier de positionnement et de prescription des marques. Ainsi 58 % des achats en ligne (9) débutent sur un moteur de recherche, 24 % sur des sites de sociétés et 18 % sur des médias sociaux. 40 % des internautes débutant par un moteur de recherche se tournent ensuite vers les médias sociaux pour les aider à prendre une décision. Ils sont 46 % à réaliser l’inverse.
En conclusion, le processus de communication de la marque et de prescription du point de vente, en place depuis des décennies, est-il battu en brèche. Comme le décrit le schéma ci-dessous, les marques influaient sur le choix des consommateurs par le biais de leurs campagnes média classiques et de leurs programmes de fidélisation (a). Mais l’essor d’internet et des réseaux communautaires (b) permettant au consommateur d’approfondir sa connaissance du marché, son acte de pré achat en est renforcé (d), qu’il décide d’acheter sur en point de vente ou sur un site e-commerce. Face à ce bouleversement, les marques développent leurs campagnes média sur internet (e) et tentent d’influer plus ou moins finement sur les réseaux communautaires, les forums ou les bloggeurs, mais aussi sur les points de ventes tiers (f). Ces derniers, pouvant disposer des mêmes informations (g) que les consommateurs, doivent faire face justement à des clients de plus en plus renseignés sur les produits ou services qu’ils commercialisent.

Un nouveau schéma commercial qui conduit la marque, mais aussi le point de vente, vers de nouvelles stratégies et de nouveaux risques.

La fragilité nouvelle des marques cache de formidables opportunités de conquête

La stratégie classique des marques, reposant sur une communication à sens unique (push) vers leurs clients, s’avère donc insuffisante. Internet permet aux consommateurs de disposer aisément d’informations externes à la marque. Les réseaux communautaires ou les blogs accélèrent encore ce phénomène, permettant à chacun de donner son avis sur la marque, de la prescrire ou de la dénoncer, avec un tel levier viral qu’en quelques clics la moindre opinion peut être partagée par des centaines ou des milliers d’internautes. Par la force des choses, la communication de marque se fait elle-même communautaire, axée sur l’échange (push – pull), mais sans le contrôle intégral de la marque.


Les risques de réputation de cette dernière sont ainsi démultipliés. Les opportunités de notoriété ou de croissance aussi. Des internautes se muent en ambassadeurs de la marque et certains conseillent même d’autres internautes pour l’accompagner jusqu’à l’achat … La marque s’organise donc face à ces nouveaux enjeux, devant mettre en avant une stratégie d’influence positive et des protocoles de crises en cas d’attaque ou de dénigrement. Elle s’emploie à établir une nouvelle stratégie axée sur l’interaction avec ses clients, comme avec ses canaux de distribution. La nature de sa relation client change. Elle met davantage en avant l’expérience consommateur et établit de nouveaux codes. Elle place son client au centre de son dispositif de communication et de prescription, notamment les leaders d’opinion, pouvant l’intégrer au sein de multiples processus fonctionnels clés de l’entreprise. Cette dernière peut ainsi être connectée en permanence à ses clients, selon certains principes et en fonction des capacités de son organisation.

Dans ce contexte, les programmes de fidélisation (CRM), encore présentés comme des leviers commerciaux stratégiques (1), doivent adapter leur stratégie mais aussi leur business model, aujourd’hui coûteux et lourd. Il leur faut intégrer très rapidement les réseaux communautaires afin de ne pas perdre de leur influence et tenter d’alléger leurs coûts opérationnels.

« Consom-acteurs » et « multi canal » : les points de vente sous pression
Au-delà du rapport direct avec ses clients, la marque doit aussi veiller aux bouleversements qui affectent ses réseaux de distribution. Sa stratégie « multi canal » doit d’une part adopter tous les nouveaux canaux de distribution, mais aussi prendre en compte les nouveaux comportements de consommateurs. Elle l’amène à considérer de nouvelles segmentations clients, de nouveaux mécanismes de ventes et des synergies nouvelles entre ces canaux de distribution. Le « multi canal » est une réalité parfois peu optimisée. Certaines statistiques ne manquent pas d’étonner : par exemple, 38% des consommateurs (10) achetant en ligne utiliseraient leur smartphone pour se renseigner auprès d’autres internautes sur les produits et les prix, alors même qu’ils se situent physiquement dans un point de ventes. Et à ce jeu, les Français semblent particulièrement enclin à passer d’un canal de distribution ou d’un média à un autre.
Les points de ventes doivent aussi s’organiser face à des consommateurs de plus en plus informés. Les difficultés des commerciaux à en savoir davantage que leurs clients sur les produits ou services qu’ils proposent à la vente, les ramènent à une concurrence frontale avec le e-commerce. Et s’ils ne parviennent pas à transformer la visite du client en acte de vente, ils prennent de plus en plus le risque de le renseigner pour que finalement il effectue finalement son achat sur un site e-commerce aux prix plus agressifs. Ces problématiques commerciales vont plus loin encore. Il serait par exemple étonnant que les pratiques commerciales visant encore à prescrire dans certaines enseignes, tel ou tel produit, en fonction du niveau de prime rémunérant le vendeur ou en fonction de la facilité du vendeur à en parler, puissent être encore aussi répandues face à des clients maitrisant davantage leur sujet. Afin de répondre à l’ensemble de cette problématique, le point de ventes doit s’organiser autour de la marque et d’une stratégie « multi canal » solide, de communautés professionnelles et de programmes DRM (Distribution Relationship Management), ces derniers devant interagir avec les programmes de fidélisation en place (CRM, Consumer Relationship Management).

D’autant plus que le e-commerce croit fortement (11) et que les réseaux sociaux, comme les moteurs de recherche, développent sans cesse de nouvelles options pour les consommateurs. Par exemple, le « social shopping » fait son apparition. Il consiste à faire du lèche-vitrines à plusieurs. Au-delà du partage d'un produit sur Facebook ou d’une page fan, une entreprise (12) peut déjà proposer sur Facebook la mise en ligne d’une collecte de fonds à l’attention d’un choix précis de produits sur le site marchand. Les amis sélectionnés peuvent alors commenter les produits sélectionnés et contribuer à leurs achats, même anonymement. Le shopping social c’est aussi suivre les sélections produits d’une vendeuse en ligne dont on est fan, tagger les produits de son catalogue d’un « j’aime » qui permet à l’enseigne en ligne de limiter son offre aux produits préférés de ces clients cibles, permettre aux internautes de « chatter » en ligne à propos de tel ou tel produit alors qu’ils surfent sur le site séparément … « Facebook Connect » peut identifier les internautes clients d’un site en ligne en tant que membres du réseau social, lui permettant de remonter sur le site marchand les avis des amis du visiteur ou encore de lui adresser des recommandations construites à partir des informations extraites de son profil, comme le fait Amazon. Facebook travaille au développement de son application « Buy with friends ». Le « screen sharing », permettant de suivre depuis son écran la navigation d’un tiers, a permis le développement de fonctionnalités « Shop Together » offrant à des internautes la possibilité de partager sur Facebook, Twitter ou My space leur shopping en ligne, de discuter ou de se recommander des produits. Le « social shopping », dont les techniques n’ont pas fini de se développer, permet d’accélérer ses ventes par le biais d’un mode e commerce riche pour l’internaute, mais aussi d’apparaître sur le mur de ses fans, d’être recommandé à un internaute par le biais d’un fan qui aurait des goûts similaires ou encore de se faire sélectionner dans ses multiples e stores où l’internaute créé son propre show room. Select2gether par exemple compterait plus de 3 millions de membres partageant près de 4 millions de produits provenant de plusieurs centaines de catalogues de mode …
Autant de facteurs visant à repositionner le point de vente physique au sein d’un dispositif « multi canal » complexe où la marque doit préserver ses droits, et qui permettra à l’entreprise d’activer une stratégie de croissance solide et maitrisée.

Défis à venir de la valeur client : une mobilisation incontournable de l’entreprise

A l’ère des réseaux communautaires et du digital, les rumeurs ou les défaillances, les succès ou les évènements des marques se propagent dans l’opinion à une vitesse considérable. Un contexte qui place les entreprises face à de nombreux défis et les invite à placer leurs clients au centre, non plus uniquement de leur stratégie, mais de leur processus opérationnels même.

La reconfiguration de la stratégie marque et commerciale, mais aussi des méthodes de travail et des relations clients, ne manquera pas de modifier en profondeur les organisations des entreprises : ainsi de nouveaux métiers se dessinent, tel que celui déjà bien connu de « community manager » ; de même, la mise à plat de la chaine de valeur client tend à décloisonner des organisations fonctionnelles plus ou moins ouvertes, du marketing au point de vente, en passant par les ventes ou la logistique, l’innovation ou les achats. Non seulement l’éco système de l’entreprise gagne en performances à s’organiser autour de différentes communautés, clients ou professionnelles, mais la mise en place d’un management collaboratif au sein même de l’entreprise doit permettre à cette dernière de gagner en agilité et en innovation.

Les modèles communautaires, consommateurs mais aussi professionnels, n’ont pas fini de changer les stratégies des entreprises. D’autant plus que leurs clients ne manqueront probablement pas eux-mêmes de changer leurs propres comportements d’achat.

En 2010, seul 4% des entreprises sondées (12) se considéraient « avancées » dans l’usage des média sociaux. Elles étaient 20% à se considérées matures, la plupart d’entres elles se contentant d’animer des pages Facebook ou des blogs.

On le sait, la prime revient en général aux pionniers. Ces derniers ont déjà poussé leurs premiers pions, à tous les niveaux de l’entreprise, en interne et en externe, tant vis-à-vis de leurs clients que de leurs fournisseurs, du marketing et du commercial que de leurs opérations, de l’innovation que du management même de leur organisation. Les réseaux sociaux sont en effet porteurs de valeur dans la quasi-totalité des fonctions et activités de l’entreprise. Ils sont déjà au cœur des stratégies des entreprises les plus dynamiques, tant pour s’en protéger que pour profiter de leurs forts effets de levier.


Sources
(1) Accenture – « Global consumer review ». Monde dont France. Mars 2011.
(2) Forrester / Bazaarvoice – France, Allemagne, Angleterre. Mars 2011.
(3) Nurun Ifop barômètre. Influence des media sur les decisions d’achat. Octobre 2009
(4) Scanblog. Novembre 2010
(5) L’Express – Iligo Insight Agency. France. Mars 2011
(6) Gartner. “Consumer marketing using social network analysis”. Monde, dont France. Juin 2010.
(7) E Marketer. USA. Février 2010
(8) ClickZ. USA. Janvier 2010
(9) GroupM – Comscore. Février 2011
(10) Altimeter group – Novembre 2010
(11) Benchmark Group. 2011. 31 Milliards d’Euros en 2010, +26% de croissance comparé à 2009.
(12) PIXMANIA par exemple